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Détails sur le produit
Format : Format Kindle
Taille du fichier : 1068 KB
Nombre de pages de l'édition imprimée : 142 pages
Editeur : Editions L'Harmattan (1 juillet 2015)
Vendu par : Amazon Media EU S.Ã r.l.
Langue : Français
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Ce petit ouvrage publié quasiment à compte d'auteur chez l'Harmattan est sympathique, en ce sens qu'il est le tout premier à tenter une approche biographique d'une femme hors du commun. En effet, en dépit des terribles épreuves qu'un impitoyable Janus se plut à placer en travers de son chemin, comme pour mettre à l'épreuve sa force de caractère et son sens moral, cette incroyable survivante de la barbarie totalitaire qu'était Madame Buber-Neumann, ne devait jamais renoncer à son humanité ou bien céder à l'accablement. A cet égard, on ne peut que louer l'auteur d'avoir ébauché ce portrait qu'aucun universitaire français n'avait curieusement jamais eu l'idée de réaliser auparavant. Mais cet opuscule est hélas très loin du compte pour ce qui concerne les information (quelquefois approximatives) que l'on est en droit d'attendre, a minima, d'une monographie. Aussi pour les compléter brièvement, reprendrai-je pour l'essentiel quelques éléments déjà développés sur ce site. D'abord en réfutant quelques affirmations qui trainent de-ci de-là à propos de notre amie. Née Thüring, elle n'était pas issue d'une famille israélite, sinon elle n'aurait pas échappé à "la sélection" raciale opérée parmi les détenues à Ravensbrück, sur instructions expresses d'Himmler. En revanche, elle avait en 1922 contracté une "union en concubinage notoire", dite de "droit commun" avec Rafaël Buber (1900-1990), étudiant berlinois communiste et sioniste, fils du philosophe juif Martin Buber (1878-1965), avec qui elle devait avoir deux enfants en 1921 puis 1924, avant leur quasi-séparation de corps dès 1925, puis la dissolution définitive de leur alliance en 1929. Mais depuis l'été 1928 et du fait de son militantisme exclusif, comme elle le raconte dans une partie de ses souvenirs consacrée à sa jeunesse et à son engagement communiste, hélas non traduite dans notre langue ("Von Potsdam nach Moskau, Stationen eines Irrweges" / de Potsdam à Moscou, jalons d'une fausse piste. 1957, 1981, 1990, 1999, 2002), elle vivait sans ses enfants, sa belle-mère ayant par décision de justice obtenu la garde des deux petites filles ; son droit de visite se limitant à deux occurrences annuelles. Après l'arrivée au pouvoir des nazis, Barbara et Judith devaient émigrer en Palestine avec leur grands-parents. Cette décision salutaire les a préservées des persécutions et leur a probablement sauvé la vie. A partir de 1947, la guerre terminée, "Grete", allait enfin renouer avec elles et avoir l'opportunité d'établir des liens très suivis avec sa descendance israélienne. L'aînée est devenu artiste peintre à Jérusalem. En 2007, sa cadette, le Professeur de Sociologie et de Sciences Politiques Judith-yehudit Buber-Agassi a publié une étude statistique sur le sort des quelques 16 000 femmes, filles et enfants juifs passés par le "camp des femmes" situé à seulement 80 Km de Berlin ("The Jewish Prisoners of Ravensbrück. Who were they ?"). "Déportée en Sibérie" (titre français tout à fait fantaisiste, Karaganda étant situé au Kazakhstan...) correspond à la première partie de l'ouvrage phare de Margarete Buber-Neumann : Prisonnière de Staline et d'Hitler, qui connaîtra six éditions allemandes de son vivant."Als Gefangene bei Stalin und Hitler", a paru en 1949, dans une édition allemande caviardée, notamment sur le chapitre du bagne hitlérien, seul le texte suédois à l'époque étant intégral comme l'explique Albert Béguin dans sa remarquable postface. On pouvait cependant lui adjoindre dès 1950 une traduction anglaise relativement fidèle : "Under two Dictators, Prisoners of Stalin and Hitler"). La traduction française parue en Suisse (!) à La Baconnière l'année de la publication originale (et réimprimée au Seuil en 1986) est l'oeuvre d'Anise Postel-Vinay, une camarade de déportation (1943/1945) de Ravensbrück, qui de même que l'ethnologue Germaine Tillon (dernièrement panthéonisée, et dont la mère Emilie a été gazée au camp début mars 1945), devait la vie à notre héroïne. Témoin au premier chef de son humanité foncière, de sa probité extrême, de son action altruiste, et de son complet dévouement envers ses compagnes d'infortune, elle était fondée à faire connaître la vérité scandaleuse que détenait pour l'avoir vécue dans sa chair cette femme exceptionnelle : le communisme, véritable religion séculière n'était qu'un gigantesque système d'oppression qui ne se survivait que par le mensonge, la terreur, un appareil de répression tout puissant, pourvoyeur d'un univers concentrationnaire tentaculaire, dont arbitraire, travail forcé, déshumanisation totale et mort plus ou moins lente constituaient les termes d'un abécédaire infernal. On imagine sans mal les effets d'une telle "révélation" aux yeux des croyants inconditionnels, confortés dans leur espoir d'une" révolution mondiale" (pour reprendre le titre d'un ouvrage ultérieur de notre amie, "Kriegsschauplätze der Weltrevolution, 1967/1971, consacré à l'histoire du Komintern) non seulement par leur catéchisme, mais bien plus par la victoire de l'Union Soviétique sur le "fascisme" et le sacrifice de ses peuples (25 millions de morts au bas mot). Cette disposition mentale à l'aveuglement qui allait atteindre une grande partie de " l'intelligentsia de gauche" mais aussi les rescapés de la déportation nazie (exemple, Marie-Claude Vaillant-Couturier), Margarete Buber-Neumann la connaissait parfaitement puisqu'elle avait été elle-même la victime de ce syndrome, une quinzaine d'années durant. Elle avait eu foi dans le bolchévisme, cru aux lendemains qui chantent, et défendu mordicus "la patrie des travailleurs". Mais qui était elle au juste ? Née à Potsdam le 21 octobre 1901 au sein d'une famille de cinq enfants (trois filles et deux frères), elle avait été marquée par l'éducation très libérale de sa mère Else Merten Thüring (1871-1960). Celle-ci contrastait avec l'autoritarisme de son père Heinrich Thüring (1866-1942) , archétype du patriarche rural, self-made-man devenu directeur de brasserie à la force du poignet, et par conséquent forcément très accaparé par ses affaires. A quatorze ans elle rejoint le mouvement de jeunesse des "Wandervogel", qui la prédispose à une remise en cause des conventions bourgeoises. Au lendemain de la guerre et "Abitur" en poche, elle s'inscrit à Berlin dans un institut dédié aux enfants nécessiteux, entamant une formation afin de devenir institutrice en maternelle. Confrontée à la misère sociale, elle fréquente rapidement des militants socialistes, alors que l'assassinat de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sonnent le glas de "la révolution allemande". Généreuse et enthousiaste, et aveuglée par "la grande lueur de la flamme moscovite", elle s'engage. Proche des communistes dès 1919, encartée au KPD en 1926 après une adhésion aux jeunesses communistes en 1921, elle travaille à la "Ligue contre l'impérialisme", émanation de l'Internationale Communiste, puis comme rédactrice pour le compte d'une de ses revues de propagande "l'Inprekorr". Elle sera permanente du "Parti", de 1927 jusqu'à sa dissolution par les nazis en 1933. Elle séjournera deux fois à Moscou en avril 1931 et au printemps 1932 au titre de déléguée, rencontrant personnellement le Vojd (le guide) lors de son second voyage. Entretemps elle s'est liée à l'intellectuel polyglotte (il parle sept langues, dont le russe !), d'origine israélite, Heinz Neumann (1902-1937) au cours de l'été 1929. Elle contracte avec lui une nouvelle union "de droit commun", prenant à cette occasion le nom de Buber-Neumann, démontrant par-là qu'elle avait conservé toute sa considération à son premier partenaire. "En réalité, j'avais surtout divorcé d'avec ma belle-mère", racontera-t-elle plus tard. Son nouveau compagnon est un agent du Komintern. Envoyé en Chine, il a obéi au nouveau mot d'ordre de la direction stalinienne de l'IC, et organisé sans états d'âme le soulèvement suicidaire de la Commune de Canton de décembre 1927 qui devait coûter la vie à quelques 25 000 communistes, quasi-désarmés face aux forces de répression du Kuomintang ! Rédacteur dès 1921, puis rédacteur en chef de la "Rote Fahne" (1928), organisateur de la milice du parti, député au Reichstag (1930/32) et membre du Bureau Politique du KPD à partir de 1928, Neumann, pourtant homme de Moscou, parce qu'il s'oppose progressivement à la ligne stalinienne de priorité donnée à la lutte contre la social-démocratie (les "sociaux-traîtres") qu'il est pourtant chargé de mettre en oeuvre, mais qu'il finit par juger suicidaire dans le contexte de l'irrésistible montée de l'hitlérisme, n'en tombe pas moins en disgrâce. Fin avril 1932, il est relevé de ses fonctions et accusé d'activité fractionnelle "antiparti". Il est malgré tout envoyé en mission en Espagne pour y réorganiser le PCE alors groupusculaire, jusqu'en novembre 1933, puis en Suisse pour le compte du Komintern. Pour sa part, tout juste rentrée d'Union Soviétique au moment de la prise du pouvoir par les nazis, Margarete parvient in extremis à quitter le pays à l'aide d'un faux passeport. Sa seule mission notable pour le Komintern, consistera à participer aux efforts, d'ailleurs parfaitement inaudibles, de la propagande communiste lors du plébiscite qui aboutira au rattachement de la Sarre au Reich en janvier 1935. Entretemps Neumann est arrêté à Zurich en décembre 1934, puis expulsé en France, Margarete le retrouvant in fine au Havre. Cependant depuis la mi-1934 prévaut la nouvelle ligne de "Front Uni des forces antifascistes" décrétée par Staline. C'est un complet retournement, quoique bien tardif au regard du désastre allemand. Au printemps 1935, et en dépit de leurs doutes croissants quant au génie du "Petit Père des Peuples", les deux conjoints grillés en Europe occidentale, n'avaient eu d'autre choix que de demander l'asile politique à l'Union Soviétique et de rejoindre Moscou, alors que les purges commençaient à décimer les rangs des vieux militants du parti ou ceux des agents du Komintern les plus fidèles. Hébergés à l'Hôtel Lux, où loge le gratin de la Nomenklatura de l'Internationale Communiste, ils y sont en fait cantonnés et surveillés. On leur confie provisoirement des travaux de traduction, toutefois bien indignes du membre du Secrétariat Politique de l'IC qu'était Neumann, indices évidents de la défaveur en laquelle celui-ci est tenu. De fait l'étau ne cesse de se resserrer, leurs relations les plus proches étant désormais touchées. Son ami Hermann Remmele (1880-1939) sera liquidé. A l'automne 1940 et sur instigation de Staline, la pièce maîtresse de l'Agitprop et de la désinformation, l'infatigable propagandiste Willi Münzenberg (1889-1940), compagnon de la soeur aînée de "Grete", Babette Gross (1898-1990), alors en rupture de ban avec "le Parti" sera assassiné en France par des tueurs du NKVD. Simulacre, son cadavre sera retrouvé en forêt, corde au coup, cette mise en scène accréditant la fiction d'un suicide de "cet homme qui en savait beaucoup trop". A son tour, Neumann est arrêté par le NKVD fin avril 1937. Il sera exécuté le 26 novembre 1937 dans les caves de la Loubianka, sans que jamais sa compagne n'en soit avertie. Sa mort ne lui sera officiellement signifiée qu'en 1961, sans précisions aucunes. Elle-même est appréhendée le 19 juin 1938, emmenée à son tour à la Loubianka puis incarcérée à la prison de Boutirki, dans des conditions dantesques, où elle est interrogée sans relâche (extorsion de faux "Aveux"...) et gardée six mois durant. Condamnée à cinq ans de Goulag comme "élément socialement dangereux", elle est expédiée en camp au Kazakhstan en janvier 1939, une région nommée autrefois "la steppe de la faim", où elle découvre les conditions de "vie" misérables (des huttes de terre dans une étendue où les températures pouvaient descendre à moins 25°), l'esclavage (travail du lever au coucher du soleil, en moyenne 10 à 12 heures et jusqu'à 15 heures par jour !), la faim, la saleté repoussante (un manque d'hygiène absolu avec ses conséquences sur les hommes et les bêtes : brucellose, scorbut, dysenterie etc...), le dénuement et la promiscuité avec les droits communs violents et dénués de toute valeur morale, véritables co-gestionnaires du système au détriment des "politiques". On imagine sans peine la situation contrainte des femmes dans ce contexte de stratégie de survie permanente, bien que Margarete passe pudiquement sur cet aspect des choses. Dans cet univers de la mort lente, où se côtoient les plus grands intellectuels russes, allemands ou des minorités, ce sont pourtant les femmes qui résistent le mieux ! Le "Karlag", immense, rassemble quelques 170 000 prisonniers (son matricule : n° 174475). Suite au pacte germano-soviétique, ultime tête à queue idéologique, Buber-Neumann est rapatriée à Moscou à la fin de l'automne 1939 après environ une année de relégation, puis retapée sommairement avant, cadeau de Staline au "Führer", sa livraison le 8 février 1940 à la Gestapo et aux SS. Après un séjour de cinq mois à la prison du Quartier Général de la Police de l'Alexanderplatz à Berlin, où elle est là -encore longuement interrogée, elle est expédiée au camp de concentration "pour femmes" de Ravensbrück début août 1940. Motif : haute trahison et atteinte à la sureté de l'Etat. Internée dans ce KZ construit initialement pour 3000 déportées et où se succèderont au total 130 000 personnes, elle y vivra l'aggravation graduelle des terribles conditions de détention, à la merci constante de la brutalité des Kapos ou des psychopathes nazis. La survie était toujours remise en cause dans un univers précaire régi par la malnutrition chronique, les "sélections", les "transferts" (définitifs) de malades (dysenterie, typhus, épuisement...) ou les expériences médicales... Durant sa déportation elle sera notamment la référente des Témoins de Jéhovah (Bibelforscher), détenues modèles et obéissantes mais fondamentalement rétives aux conceptions nazies et à tout autre endoctrinement que le leur, et surtout refusant, seules avec les prisonnières de l'Armée Rouge, de travailler à l'effort de guerre, ce qui nécessitait un grand courage. Entre octobre 1942 et le printemps 1943, Margarete devient la secrétaire personnelle de la surveillante-chef Johanna Langefeld, nazie convaincue qui arrivait d'Auschwitz mais était en proie au doute, relativement à la corruption qui régnait parmi les administrateurs et le personnel des camps. Grâce à sa force de caractère, notre amie survivra bien que très difficilement, à un enfermement de dix semaines au block disciplinaire, dont elle avait déjà tâté dans un tout autre cadre à Karaganda. Et début 1945, c'est Inka, une jeune camarade tchèque, qui la sauvera d'une septicémie, bravant pour l'occasion la haine que professaient les communistes à l'égard de cette"ennemi de l'Union Soviétique". Elle devait rester au camp jusqu'au 21 avril 1945 et y nouer durant quatre longues années de captivité une intense et indéfectible amitié avec la lumineuse Miléna Jesenka (1896-décédée au camp le 17 mai 1944), intrépide journaliste et polygraphe tchèque, amie et traductrice de Kafka, sur et pour laquelle elle publiera en 1963 (réédition sous un titre modifié en 1977) un ouvrage bouleversant et magnifique que les français découvriront avec ferveur en 1986 ("Milena"). Quoique tardive, la réception chaleureuse de cette publication dans notre pays fut l'une des dernières grandes joies de "Grete". Invitée sur le plateau d'Apostrophe" par Bernard Pivot, elle ne put malheureusement s'y rendre, fragilisée par les séquelles cardiaques que lui avait léguées le mouroir nazi. C'est la fidèle Anise Postel-Vinay qui devait la représenter à cette occasion. Dans le livre "Grete" fait cette déclaration a priori stupéfiante : "je remercie le sort de m'avoir conduite à Ravensbrück, car j'y ai rencontré Miléna !" Bravant l'ostracisme des détenues communistes orthodoxes pour lesquelles Buber-Neumann était une "hérétique", cet être d'exception offrit à "la petite prussienne" aux yeux bleus et au regard intense son soutien de tous les instants, lui permettant notamment de survivre au confinement disciplinaire. "Je vis toujours avec Miléna" confessait Margarete près de 40 années après sa disparition tragique.Cette nouvelle relation de la déportation en camp nazi (sous le titre français de "Déportée à Ravensbrück") fait l'objet de la seconde partie de l'ouvrage précité de 1949. Pour de mystérieuses et non moins scandaleuses raisons, les français ne devaient pas y avoir accès avant 1988, c'est à dire quarante années environ après sa sortie, et encore en deux volumes séparés. Aujourd'hui, Les Editions du Seuil continuent à commercialiser des éditions distinctes au formats de poche. Une publication existe toutefois (épuisée néanmoins chez l'éditeur) en un volume qui les rassemble certes, mais sans rétablir le titre original, et dont le texte, comme le note Pierre Rigoulot, est insatisfaisant, compte tenu d'un certain nombre de coupes ou de transcriptions amoindries !!! Comme on peut le voir, la trajectoire de Margarete en faisait la détentrice d'un savoir unique. Hormis Elinor Lipper (1912-2008 ) avec "Onze Ans dans les Bagnes Soviétiques : 1937-1948" (1950) ou Julius Margolin (1900-1971) dont le témoignage ("La Condition Inhumaine", 1949, dans une version française largement amputée, traduite par Nina Berberova) est contemporain du sien (ils déposeront tous les trois au procès Rousset), elle seule était à même d'attester de façon irréfutable de la réalité des camps soviétique (l'ouvrage de Soljénitsyne "Une Journée d'Ivan Denissovitch sort en 1962, "l'Archipel du Goulag" en 1974), et qui plus est, d'en établir le parallèle avec le système concentrationnaire nazi. Une parentèle ô combien scandaleuse ! Elle se fit certes un devoir de témoigner à charge au procès des responsables de Ravensbrück (1950). Mais c'est bien sa déposition digne et résolue lors du Procès Kravtchenko qui atomisa le catéchisme des thuriféraires de la tyrannie moscoutaire, les déconsidérant définitivement. Dès-lors les débats devaient tourner à la confusion des communistes pourtant alors au zénith de leur influence. En confirmant par sa parole entièrement digne de foi les analyses d'un David Rousset (1912-1997), elle enfonçait un coin décisif dans l'extravagant édifice du mensonge, y compris dans la tête de certains de ses détracteurs, qui ne devaient jamais s'en remettre totalement. Selon Nina Berberova (1901-1993) qui suivit et relata le procès du transfuge contre les "Lettres françaises" (janvier-avril 1949) sa seule intervention, réitérée à nouveau lors du procès Rousset en 1950, équivalait à elle seule "à 10 ans de propagande antisoviétique". Il incombait à celle qui avait traversé ces incroyables épreuves de les faire connaître et cela signifiait dissiper toutes les illusions relatives au communisme et à sa parenté concrète avec les régimes fasciste et nazi, ce qui n'était pas une mince affaire. Mais qui d'autre qu'elle aurait été la mieux placée pour le faire ? Elle multiplia les conférences, touchant tous les public (syndicats, écoles de tous niveaux...). Cependant au cours de cette mission, elle sera attaquée, vilipendée, insultée, calomniée et même attaquée en justice par l'appareil communiste et ses relais de toute sorte, quand il ne s'agira pas de la "gauche" non communiste, dont la complaisance à l'égard du totalitarisme, fut pour l'URSS et ses satellites une aide inappréciable. Mais "Grete" n'était pas d'un tempérament à reculer. Elle n'avait pas survécu pour se laisser intimider. Elle allait accomplir sa tâche, celle pour laquelle le destin l'avait maintenue en vie contre toute attente. Après les années de formation, l'engagement en communisme et les camps, Margarete allait donc entamer sa "quatrième vie", celle qui fait l'objet de son troisième ouvrage autobiographique : "Freiheit, du bist wieder mein" (Vérité, tu seras toujours mienne) paru en RFA (et non traduit) en 1978. Mais pour comprendre, il faut renouer les fils chronologiques de son histoire. "Grete" est élargie du camp de Ravensbrück quatre jours avant l'arrivée des russes, alors que l'emprise des gardes-chiourmes nazis s'évanouit. Elle fuit éperdument, entamant une course contre la montre, afin de ne pas retomber entre les mains des "libérateurs soviétiques". Comme le confirmera Sarah Helm ("Si c'est une Femme, Vie et mort à Ravensbrück", 2015 / 2016 en traduction française), lors de la libération du camp et pour ajouter à l'horreur, un certain nombre de captives seront violées par la soldatesque russe, information censurée dans la dernière édition allemande de "Als Gefangene", publiée du vivant de notre amie (la sixième, 1985). Milena Jesenska avait déclaré : "si c'est l'Armée rouge qui doit nous libérer, je me suiciderai !" Donc "Cap à l'ouest" résolument ! Ayant franchi l'Elbe non sans mal, elle parvient enfin, après deux mois d'odyssée et mille vicissitudes, à gagner le secteur occupé par les américains et à rejoindre sa mère en Bavière. En 1947, ce sont ses filles qu'elle retrouvera au cours d'émouvantes retrouvailles, après quinze années de séparation !!! Mais début 1946, et à l'instigation du Comité International pour les Réfugiés (IRRC), elle se rend à Stockholm où elle rencontre le "millionnaire rouge" Olof Aschberg (1877-1960), homme d'affaire et banquier suédois, et surtout intermédiaire occidental avec qui, et à l'instar de Armand Hammer (1898-1990) par la suite, l'Union Soviétique avait "commercé" en exclusivité. Surnommé "le banquier de le Révolution", il avait été le dirigeant de la "Ruskombank" (1922/24), première banque extérieure de commerce du régime, avant qu'elle ne soit nationalisée. C'est pourtant cet homme trouble qui, par l'intermédiaire de la soeur de "Grete", Babette alors réfugiée à Mexico depuis 1940, lui propose de passer sa convalescence dans sa propriété, alors qu'il vient de rentrer des Etats-Unis où il a passé la guerre. A cette occasion, il lui fait découvrir l'ouvrage de Kravtchenko (1905-1966), "I Choose Freedom" (1946, "J'ai Choisi la Liberté", 1947). Après s'être enquis de son avis sur la véracité de ce témoignage, il l'invite à rédiger à son tour le récit de ses tribulations dans les camps. L'ouvrage "Prisonnier de Staline et d'Hitler" sort effectivement en suédois en 1948. Mais du fait des remous provoqués par cette publication en pays neutre, elle est obligée, au bout de trois années de séjour en Suède, de regagner l'Allemagne, où elle retrouve sa soeur Babette, de retour du Mexique. Alors qu'elle avait été dissuadée par les autorités d'occupation d'exercer le métier de professeur "en raison de son âge", puis également de raconter son expérience du Goulag afin de ménager les susceptibilités de l'allié soviétique, son installation à Francfort en 1950 s'effectue sous de nouveaux auspices, la guerre froide étant à présent à l'ordre du jour. Après les deux procès retentissants auxquels elle a participé en France et qui ont tourné à la confusion des staliniens, son témoignage, qui revêt alors une importance capitale, bénéficiera désormais des moyens nécessaires à son expression. En 1951, elle devient ainsi rédacteur en chef de la revue politique et culturelle "Die Aktion", mensuel spécialisé dans l'étude et l'analyse du communisme et de l'URSS. Dans le même temps, elle devait bénéficier du financement de la "Fondation Fairfield", dont on sait depuis qu'elle était une couverture de la CIA, pour donner des conférences, notamment en Grande Bretagne, au tout début 1948. Dans la guerre idéologique en cours, de nombreux artistes et intellectuels, dont Margarete accordent leur soutien au "Congrès pour la Liberté de la Culture". En juin 1950, ils sont 118 rassemblés pour la réunion de fondation à Berlin, ville symbole de la résistance du "monde libre" au coup de force soviétique. Le blocus a été levé à peine un an auparavant. On apprendra en 1967 que le Congrès bénéficiait également des subsides des services de renseignement US. Pour autant, tous ces artistes ou intellectuels, d'ailleurs ignorants de ces circuits financiers troubles, étaient-ils pour autant vendus à la CIA ? Travaillaient-ils pour des officines ou des faux-nez des services occidentaux ? Leurs oeuvres sont-elles forcément entachées par la propagande ou bien invalidées ? Bien sûr que non, n'en déplaise aux "historiens révisionnistes" qui n'hésitent pas à rayer d'un trait de plume le travail d'un Boris Souvarine ou salissent le nom d'Orwell, pour mieux réhabiliter le "génial camarade Staline" ! Devenu journaliste Buber-Neumann écrira, outre son travail de mémorialiste et les titres déjà évoqués (auxquels il faut ajouter quelques opuscules), un autre ouvrage : "Die Erloschene Flamme, Schicksale Meiner Zeit" (la flamme éteinte, destins de mon temps) paru en en 1976, qui récapitule quelques-unes de ses rencontres marquantes sous forme de portraits. Notons également l'ouvrage posthume "Playdoyer für Freiheit und Menschlichkeit" (plaidoyer pour la liberté et l'humanité) qui sera édité en 1996 avec le concours de sa fille cadette. Mais reprenons à nouveau le fil chronologique de son existence. Notre amie s'était remariée puis avait divorcé d'avec Helmuth Faust (1948/1959), journaliste et Directeur-fondateur de la revue "Die Aktion". Dans les années soixante, il lui devenait de plus en plus difficile de soutenir les politiques préconisées par la gauche non-communiste, surtout après l'entrée du SPD au gouvernement (1966) et la nomination au poste de ministre d'Herbert Wehner (1906-1990), directement à l'origine de l'arrestation de son mari en 1937 par la transmission à Moscou d'un document confidentiel qui l'incriminait. Au tournant des années soixante-dix, Margarete Buber-Neumann dénonce la politique d'ouverture à l'est décrétée par Willy Brandt (préfiguration de "la détente" !), comme un jeu de dupes, les méthodes et la finalité hégémonique du communisme n'ayant à aucun moment été amendées. Elle finit par adhérer à la CDU au milieu des années soixante-dix, dans un double contexte : à l'extérieur l'expansion territoriale du communisme, notamment avec la chute du Vietnam et celle ô combien dramatique du Cambodge, à l'intérieur enfin avec la déstabilisation entretenue par les actions terroristes de la RAF (Fraction Armée Rouge), l'ombre de la Stasi et de la manipulation planant bien évidemment sur ces "années de plomb". Pour autant, elle ne se considérait pas "de droite", réservant encore ce qualificatif à son frère aîné en 1986. Il serait intéressant de disposer en français de ses réflexions sur la répression féroce au Chili, en Argentine, et le soutien apporté à toutes les dictatures latino-américaines par la CIA, elle qui avait mis sur pied un "Comité pour la Libération des Victimes de l'Arbitraire Totalitaire". De même, que pouvait-elle penser du recyclage des anciens nazis dans le personnel politique de la RFA, notamment lors de la nomination de Kiesinger au poste de Chancelier ? En février 1981 Mme Buber-Neumann recevait l'Ordre du Mérite de la République Fédérale d'Allemagne. Ironie du sort, elle devait décéder ( précédant de quelques cent jours sa soeur Babette, ex-révolutionnaire professionnelle, également désenchantée du communisme) trois jours avant la chute du mur qu'elle avait tant contribué à lézarder. En 2000, avec l'ouverture des archives de la Stasi, on apprendra, qu'un guet-apens visant à l'enlèvement et à la liquidation de Buber-Neumann à Berlin, avait été envisagé en août 1955, avec la complicité d'une ancienne camarade de déportation communiste. Erich Mielke (1907-2000), le "Maître-espion" est-allemand, que Margarete avait croisé dans les années vingt, n'avait pas donné suite. Sans doute sa disparition aurait-elle été contre-productive pour les dirigeants de l'est...Regrettons qu'aucune biographie, digne de ce nom ne soit consacrée à cette grande dame (juste quelques ouvrages d'analyse en langue allemande), et qu'aucun germaniste, sans parler de professionnels, n'ait jugé bon de livrer une traduction en français de ses ouvrages, notamment autobiographiques... Rêvons d'une édition compacte fidèle, façon collection "Bouquins" (à l'égal par exemple de ceux consacrés à Primo Lévi ou Simon Leys)... Une manière de mémorial en quelque sorte pour cette femme exemplaire, qui le méritait tant... Soulignons également pour terminer, l'extrême indigence de la documentation filmée allemande (!) relative à cette vigie de nos libertés, quelque peu marginalisée par les médias qui la voyaient un peu comme une "relique" de la guerre froide. D'évidence on avait oublié que la singularité, la force et la valeur de ce témoignage capital entre tous, résidaient avant tout dans l'exposé d'une expérience vécue et profondément humaine, aux antipodes des conceptualisations purement théoriques, aussi justes soient-elles. Aujourd'hui, une prétendue "historienne", mais vraie révisionniste, Annie Lacroix-Riz se permet de parler d'elle comme de "cette ex-communiste que l'occident a sacralisé autant que Kravtchenko (franche canaille... )", osant carrément mettre en doute un peu plus loin "la thèse de Buber-Neumann selon laquelle cette canaille (ironie) de Staline aurait livré à Hitler les militants du KPD"... On en est là ... Consternant !!!
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